📝 Anecdote (suite) 
📆 26/01/20
📍 Trinidad 🇨🇺

Les yeux encore humides après l’émotion suscitée par la rencontre magnifique de ce couple de fermiers, me voilà de nouveau sur le bord de la route, en direction de Trinidad. Tout juste le temps de mesurer la chance que j’ai, que j’aperçois des jeunes cubains jouant au football juste en bordure de la route. Le terrain est très partiellement couvert d’un gazon marron, dur comme du bois, et il est parsemé de cailloux ci et là. Les buts sont fabriqués avec un système ingénieux de deux bâtons de bois dont le v naturel formé en leur sommet permet de déposer à l’horizontal le troisième bâton, venant parachever un édifice de fortune qui remplit pourtant son rôle à merveille. 
Ce qui me connaissent le savent, le football est encré en moi depuis mon plus jeune âge, et comme tout passionné je ne peux résister, et m’arrête quelques instants pour les regarder. Je croise quelques regards curieux qui se demandent ce que je peux bien faire là. À cet endroit, perdu au milieu des treize kilomètres qui séparent Trinidad de la plage, les touristes ne doivent pas venir souvent. 

Langage universel

Ils sont une quinzaine en tout, mais les plus petits ne jouent pas. Le match est organisé à quatre contre quatre, chaque but étant sanctionné par la sortie de l’équipe vaincue, remplacée par ceux qui attendent sagement sur le côté. Je suis derrière le but, la ballon m’arrive une première fois, je le renvois, le jeu reprend. Quelques minutes plus tard le ballon me reviens, il est un peu plus loin, j’y vais au pas de course, récupère le ballon sous la semelle, la fais passer derrière mon pied d’appui, et enchaîne avec une passe millimétrée. Oui, à ce moment là j’espère juste un peu attirer leur attention, priant pour qu’ils m’invitent à me joindre à eux, j’en ai tellement envie. L’objectif est atteint immédiatement puisque l’un d’entre eux me fait signe et me dit de venir jouer. Je m’empresse de les rejoindre, dépose mon sac, et c’est parti. Je ne m’en étais pas rendu compte mais le ballon est très fortement dégonflé. Cela rend mes deux premières touches de balle très approximatives, mais le football a cela de magique d’être universel. Un appel de balle, une passe, une frappe, les enchaînements se font naturellement. Je perds le premier match, gagne le deuxième ce qui me vaut un check de l’un de mes partenaires. Cette fois je suis avec eux. Vraiment avec eux. 

Cage.

Échanges

J’ai sans doute vingt ans de plus que le plus vieux d’entre eux, je vis à des milliers de kilomètres de là dans des conditions que chacun d’eux ne connaîtra sans doute jamais, nous ne nous connaissons pas, pourtant, à ce moment, le ballon rond nous a réunit. Le soleil a presque disparu. L’un des plus petits, voyant les premiers moustiques du soir rôder au dessus de ma tête, me montre comment de mes mains réussir à les combattre. On me demande mon prénom, d’où je viens, et dans leur regard je devine autant de questions que de bonheur de pouvoir échanger avec moi. Si il savait à quel point c’est réciproque. J’échange quelques mots, les remercie et leur propose d’immortaliser l’instant. Ils acceptent, un grand sourire accroché au visage, comme sur le mien. Je leur tape dans la main une dernière fois, reprends mon chemin et les laisse derrière moi. Pendant un instant, une euphorie intense, extraordinaire, gagne mon corps tout entier. Et puis quelques dizaines de mètres plus loin quelques larmes. Des larmes de tristesse cette fois, en pensant à ces enfants, à leurs conditions de vie. Tout ce qu’ils ont, ils me l’ont donné. Un ballon, un terrain, un sourire… tout.

Stadium.

Larmes

Quelques centaines de mètres plus loin, dans le noir quasi complet, je vois arriver à ma rencontre un homme sur un vélo, la main gauche posé sur son guidon, la main droite servant de guide à un second vélo, vide celui-là. Lorsqu’il arrive à mon niveau nos regards se croisent, et chargé d’une extraordinaire confiance acquise au cours de l’heure écoulée, je lui demande en riant si il ne peut pas me le prêter. Quel magnifique symbole que d’achever cette journée par un échange de rires avec un inconnu.