📝Anecdote du jour
📅26/01/20
📍 Trinidad 🇨🇺

Le réveil est un peu difficile. La soirée a été animée, subtile manière, vous l’aurez compris, de dire qu’elle a été bien arrosée. Il est 9 heures, ce qui est rare car depuis que je suis parti je suis plutôt coutumier d’un réveil à 7 heures du matin. Le petit déjeuner est copieux, et me permet de bien démarrer la journée. Au programme ? La plage, dans le seul but de se reposer après cette courte nuit. La météo est parfaite. J’ai hâte d’y être. 
Treize kilomètres me séparent de la plage, c’est évidemment beaucoup, mais parce que j’adore marcher, que cela offre des possibilités de photos que n’offre pas le taxi, et aussi un peu par souci d’économie disons-le, je me lance. Après une matinée au ralenti il est déjà midi environ. Un peu plus de deux heures de marche sous un grand soleil, des paysages magnifiques, plusieurs taxis qui s’arrêtent pour tenter de me faire monter, et quelques échanges de politesses avec des Cubains croisés ci et là, et m’y voilà. La marche a été un peu longue et je suis heureux d’arriver. Je vais rester trois bonnes heures alternant baignade, sieste, lecture, écriture et divagation de pensées plus ou moins philosophiques, et puis voilà le temps de rentrer. À pieds ? Allez, je suis motivé, et la lumière couchante m’inspire forcément l’idée que je pourrai obtenir quelques jolis clichés. 

Grimpe !

Je me lance, les paysages sont toujours là, les taxis aussi, et puis les Cubains. Après environ trois kilomètres de marche, je suis sur une route assez passante, et entends au loin, derrière moi, les pas saccadés d’un cheval au trot. Rien de nouveau, ici le cheval est encore un moyen de transport très développé, contrairement à La Havane où il ne sert que de « promène couillons ». Désolé pour l’expression mais sans être un défenseur militant de la cause animale, j’ai néanmoins beaucoup de mal avec l’idée de faire marcher un cheval par 30 degrés, dans le seul but de satisfaire les touristes en mal de dépaysement. Bref. J’entends donc le pas de ce cheval, accompagné d’une musique latine plutôt entraînante – comme toutes les musiques latines d’ailleurs – et je me retourne par curiosité. 
Deux chariots se suivent, tous les deux tirés par un cheval. Sur le premier environ six jeunes cubains de vingt-cinq ans maximum, et sur le second un couple d’une soixantaine d’année. La bonne humeur qui les animent me tire un sourire, le monsieur plus âgé me le renvoie, et me fait signe de monter à l‘arrière sur son chariot rempli de ce qui ressemble à de l’herbe. Je lui demande combien cela va me coûter – trop habitué à devoir payer pour tout et n’importe quoi en bon touriste que je suis – mais il me fait comprendre qu’il n’attend rien. Sa femme m’indique à son tour de monter, je ne réfléchi pas une seconde de plus, quelques pas de courses, un petit saut tout en souplesse et me voilà à bord de ce joyeux embarquement. 

Fuerza

Je suis à peine assis et c’est le moment que choisit le monsieur qui tient les rênes pour entamer un dépassement du chariot qui le devance. Mais dans quel but ? Je me dis bêtement que c’est amusant, et trouve que c’est un argument suffisant pour justifier cette idée. Mais l’objectif est un plus clair et plus concret que cela. Une fois en vis à vis de l’autre chariot, la dame tend le bras pour attraper une bouteille de plastique dans lequel je crois deviner de l’eau. Elle la donne à son mari qui s’empresse d’avaler une gorgée bien tassée du liquide transparent, puis le mari me tend à son tour la bouteille avec une générosité tout aussi incroyable que naturelle. Je refuse par politesse en me disant que j’en ai déjà bien trop obtenu de la part de ces gens dont on voit bien qu’ils n’ont pas grand chose. L’homme me demande si je suis sûr, je lui réponds que oui, et lisant dans mes yeux une certaine dose de doute, il me dit en espagnol un mot que je comprends immédiatement : Bodka ! En espagnol le v se prononce b. Vous aurez donc compris que j’étais dans l’erreur depuis le début. Je pose mes yeux sur la bouteille une nouvelle fois, une jolie étiquette blanche indique en effet que le contenu est bien différent de ce que je pensais. Je suis évidemment surpris – qui plus est au pays où le rhum est roi – et l’homme m’explique de suite que c’est le carburant nécessaire pour travailler au champ toute la journée. Fuerza, me dit-il ! La conversation se poursuit, notre couple exploite une ferme, et ils passent toutes leurs journées à travailler dans les champs. L’herbe sur laquelle je suis assis va servir à nourrir les chevaux, les vaches qui les attendent à la ferme leur permettent de faire le lait. Le lait nécessaire pour nourrir leurs six enfants… et uniquement les enfants. Car l’homme me précise, un grand sourire aux lèvres, qu’il ne boit de lait qu’au réveil, que cela est bien suffisant, me montrant que le contenu de la bouteille qu’il tient dans la main lui donnera l’énergie dont il a besoin pour le reste de sa journée. 

Bonheur profond

La balade durera ainsi pendant quatre ou cinq kilomètres, au bout desquels le chemin du chariot s’écarte du mien. Je laisse à ce couple incroyable quelques pièces de monnaie que j’ai dans la poche, descends du chariot, remercie ces gens encore une fois, la dame me sourit et dans son attitude je comprends qu’elle est désolée de ne pas m’emmener plus loin. Si elle savait tout ce qu’elle vient de me donner, cette dame. 
Je les regarde une dernière fois, reprends mon chemin vers Trinidad, et sans savoir pourquoi, sans l’avoir vu venir encore une fois, je me mets à pleurer. Ces larmes de bonheur inexplicables, profondes, les mêmes que celle New-York, pour ceux qui me suivent depuis le début de l’aventure. 
Alors il y a plusieurs semaines je me posais régulièrement une question. Une question que l’on me posait aussi régulièrement. Pourquoi faire ce voyage ? Et bien dans ces larmes chaudes et magnifiques, je vois désormais de façon limpide la réponse à cette question. À ce moment là je suis juste heureux, un bonheur que je crois n’avoir jamais réellement touché dans ma vie entière. Et vous savez-quoi ? Après 200 mètres de marche à peine, quelques minutes plus tard, m’attend une expérience tout aussi unique et magnifique. Celle-ci était un peu longue, je m’arrête donc là et vous donne rendez-vous demain pour la suite de cette incroyable journée…