Perdu quelque part, à une vingtaine de kilomètres du Taj Mahal…
Je viens d’être déposé sur le quai. La gare, cette fois, est à taille humaine. Les quelques personnes qui sont là sont calmes, absorbées par un téléphone ou déjà endormies. Rien n’indique la sortie.
Je traverse deux voies, chevauchant les rails, et croyant deviner une rue qui permettrait de quitter les lieux. Rien. Quelques personnes silencieuses : des passants, des promeneurs, des voyageurs ? Rien ne permet de le savoir. Aucun taxi, aucun tuk-tuk, aucun bruit… Suis-je toujours en Inde ?
Un homme s’avance, grand, le visage paisible, il me dévisage et s’empresse aussitôt de m’aider, lisant dans mes yeux mon désarroi. Il m’oriente vers deux personnes en chemises bleues. Des cheminots. Leur anglais est plus qu’approximatif, mais leur bienveillance déborde. J’ai besoin d’un taxi pour rejoindre l’hôtel. Ils me demandent de patienter, ils vont m’aider.
Il me faut un ticket !
Ils échangent quelques mots, s’amusent de la situation semble-t-il, me regardent les yeux rieurs, et me disent de les suivre. Ils vont m’emmener vers le bon train. Parfait. « Mais il faut que j’achète un ticket, pouvez-vous m’y aider ?». Le plus âgé écoute la traduction que lui propose son collègue, se met à rire et sort son téléphone de sa poche. Il s’exprime à voix haute en direction de son téléphone, me le tend. J’y découvre cette phrase limpide qu’il a fait traduire par une application : « Nous aurons tout le temps de voir pour un ticket ensuite, nous t’emmenons avec nous. » Le plus jeune m’explique que c’est leur train que je vais prendre. Ils sont chauffeurs. Je suis encore partagé entre excitation et légère crainte. Le plus âgé, tout excité par la situation, me prend la main, pose son regard dans le mien et m’offre un sourire gigantesque dont je ne peux douter de la sincérité. En route !
Nous nous rendons à l’extrémité du quai, deux autres employés de la gare sont là. Ma présence attise les conversations. Ici, les touristes ne doivent pas être légion.
Le train arrive, le plus jeune des chauffeurs m’aide à grimper dans la locomotive, il m’installe dans la cabine arrière. Je suis un peu comme un gosse. Même si cette cabine n’aura pas de rôle à jouer sur ce trajet, j’y découvre des tas de boutons et de manettes. J’essaie de comprendre.
Le train démarre et au bout de cinq minutes à peine le jeune chauffeur vient me chercher, il m’emmène à l’avant et m’installe confortablement à sa place, sur son siège. À ma gauche, assis aux commandes, le chauffeur principal, à ma droite, debout, le jeune chauffeur qui consigne les temps de passage dans son carnet, et donne des indications à voix haute.
J’ai l’impression fantastique de faire l’acrobate sans filet. Plus rien de me raccroche au fil de mon voyage. Où est ce train ? Où suis-je moi-même ? C’est la première fois que je n’ai pas de ticket de voyage dans la poche. Ce ticket qui nous accroche à une route, à des rails, à un chemin dans le ciel. Ici je n’ai plus rien que le cœur et la confiance en l’autre pour me rattraper. Et c’est merveilleux.
Comme un gosse
Au fil des kilomètres mes acolytes m’apprennent à quoi servent les boutons et manettes. Accélérer, freiner… j’aurais même le plaisir immense et enfantin d’actionner l’énorme klaxon. La joie s’imprègne de la cabine de pilotage. Tout le monde est heureux. Ils sont ma curiosité, je suis la leur. Rien ne compte que l’échange simple et bienveillant entre être humain. Qu’importe la barrière de la langue, les différences et les pourquois.
Après environ vingt minutes de trajet, je suis arrivé. Combien dois-je payer pour le ticket ? Le chauffeur me fait clairement comprendre qu’il n’attend rien. Son sourire immense est une récompense qui semble largement lui convenir. Le plus jeune m’aide à descendre mon sac, il m’emmène jusqu’à l’extérieur de la gare où il veut négocier mon tuk-tuk. Je le remercie chaleureusement. On partage un selfie. Comment conclure cette histoire autrement qu’avec un immense merci ?!