Et si je me lançais enfin ? Véritablement ?
Mon amour de la photo s’est façonné avec le temps. D’abord attiré par le paysage, par l’idée de faire la plus belle photo d’un bel endroit, comme celle que faisait mon papa, j’ai ensuite développé un goût plus prononcé pour les photos où l’on voit des gens. Il m’arrive bien sûr encore beaucoup, et ce voyage m’a offert une merveilleuse occasion pour ça, de me réjouir de certaines photos de paysage. L’Islande a d’ailleurs contribué à me réconcilier avec ce style que j’avais un peu oublié, ces dernières années. Mais ce que je préfère, l’exercice dans lequel je m’épanouis le plus, c’est la photo de rue. Traquer un visage, une attitude, une expression, une tenue vestimentaire, une énergie. La ville offre tellement d’objets photographiques qu’il m’est arrivé souvent, pendant mon voyage, de passer plusieurs heures autour d’un seul et unique bloc de maisons, à chercher.
Des gens, toujours de gens !
Et si une chose ressort, c’est que quel que soit le sujet qui me fait face, je suis toujours à la recherche de la photo que l’autre ne fera pas. L’un de mes plaisirs est par exemple, lors d’une visite guidée, de regarder les autres s’agglutiner devant un édifice ou une statue, et de mon côté le contourner, me mettre sur le côté, à l’opposé, pour obtenir un angle unique. L’esprit de contradiction au travers de l’image, en quelque sorte. De même, là où beaucoup attendent et traquent l’instant et l’angle précis qui leur permettra de faire une photo non polluée par des inconnus, je béni au contraire celui ou celle qui viendra donner corps à mon cliché.
Les plaisirs de l’argentique
Mon premier appareil photo, je le dois à mon papa. J’ai alors seize ou dix-sept ans, et il m’offre son second appareil. Un appareil Minolta dont je suis bien incapable de me souvenir de la référence, mais qui va m’accompagner pendant plusieurs années. Il s’agit bien sûr, vous aurez déjà pu faire le calcul, d’un appareil argentique. Pour les plus jeunes, il s’agit d’un appareil qui ne dispose pas d’écran, et qui n’offre pas le confort du numérique (qui n’existait pas à l’époque, vous l’aurez compris) en ce sens que le nombre de photos n’est pas illimité, et en ce sens qu’il est impossible de voir le résultat immédiatement après chaque déclenchement.
Avant chaque session de photo, le protocole est fastidieux et demande beaucoup de précision. Insérer la pellicule à l’arrière de l’appareil ne s’improvise pas. La pellicule. Oui, il fut un temps où ce mot faisait partie intégrante du vocabulaire du photographe. Une sorte de petit cylindre à l’intérieur duquel se trouve, enroulée, la précieuse bobine sur laquelle la lumière va venir accomplir son miracle.
Désillusion ultime
Je me souviens de ce jour de vacances où, accompagné de mon cousin Guillaume, et de ses parents, nous étions sur le bord de la route, pro tant d’un criterium cycliste de premier plan dans les environs d’Arcachon. Jalabert, Virenque, Hinot, à cette époque ces noms nous font rêver, mon cousin et moi.
Je vais passer l’après-midi à traquer la bonne photo, le bon angle de vue, le regard, la posture du coureur. Ouverture, vitesse, profondeur de champ, j’essaie de ne rien oublier, de faire preuve de la plus grande précision possible. La journée se passe dans une immense euphorie, et je l’achève avec la certitude d’avoir plusieurs clichés d’exception qu’il me tarde de pouvoir découvrir. Car autre inconvénient de l’argentique, l’attente. Quel calvaire de devoir attendre la n des vacances, d’attendre ensuite d’être rentré dans le nord, et d’attendre encore que la boutique qui se charge du développement des photos daigne en n m’appeler pour que je puisse les récupérer.
Et bien après ces semaines d’attente, impatient, trépignant de découvrir le résultat de cette magnifique journée, j’ai reçu l’une des phrases les plus violentes de ma vie de la part du fier marchand dressé derrière le comptoir.
– Je suis désolé, mais votre pellicule est vierge, elle n’a pas été enclenchée correctement dans l’appareil.
Je ne peux vous décrire l’état qui est le mien à cet instant. Je suis certain que tous les photographes qui lisent ces lignes comprennent la profonde détresse qui est celle du jeune adolescent que je suis à ce moment-là. Je quitte la boutique chargée d’une déception rarement égalée, mais aussi d’une anecdote que je couche ici, vingt ans plus tard, avec le sourire au coin des lèvres.
À presque 40 ans ne serait-il pas temps de me professionnaliser… un peu ?