C’est avec cet a priori tranché que je suis arrivé ici. Je suis arrivé stressé d’ailleurs, à force de lire et d’entendre partout que ce voyage serait difficile. C’est difficile parfois, c’est vrai.
Voyager en Inde, c’est se confronter à une multitude d’agressions, plus ou moins violentes, plus ou moins profondes, mais qui, mises bout à bout, créent un environnement complètement nouveau qu’il est parfois difficile d’appréhender.
Agression ! Ce mot est fort. J’aurais pu choisir le mot nuisances ou chocs.Comment réussir à définir cela, sachant que chacun de nous vivra tout ça selon ses propres repères, se fixant ses propres limites ?
Finalement, est-ce que le regard que chacun de nous porte sur une expérience comme celle-ci n’est pas simplement le reflet de ce qu’il est au plus profond de lui, à l’instant T ? Je m’explique. Entreprendre ce voyage il y a cinq ans, par exemple, aurait été pour moi une expérience bien plus difficile que celle que je vis aujourd’hui.
Apprendre à se connaître
D’abord, il y a cinq ans, je n’avais encore jamais voyagé. J’ai depuis cumulé de l’expérience, appris à vivre un quotidien dans des environnements différents, qu’il s’agisse de choses simples comme faire les courses, trouver un logement ou encore échanger avec les gens.
Mais plus encore, en cinq ans, j’ai appris sur moi-même. J’ai appris à comprendre mon fonctionnement émotionnel, et il s’agit là sans doute de la plus grande richesse dont je suis muni aujourd’hui. Les livres m’y ont profondément aidé d’ailleurs.
Imaginez. Une rue étroite et sale, jonchée de détritus, de déjections et de flaques d’une eau marron. Vous êtes sans cesse frôlés par des inconnus à l’hygiène douteuse, par des tuk-tuk, des motos, dont les Klaxons incessants vous martèlent le crâne. Vous contournez le corps de gens qui dorment sur le sol, bercés par ce vacarme informe de la rue. Vous ne faites pas plus de dix pas sans être interpellé par quelqu’un qui veut absolument vous vendre quelque chose. Le restaurant du coin vous offre un petit havre de paix, vous vous rendez aux toilettes et découvrez des traces de moisissures dans chaque recoin, le papier toilette des utilisateurs précédent est jeté dans un seau de chantier posé juste à côté de la cuvette, la lavabo goûte, la céramique n’est plus blanche depuis plusieurs années sans doute, le sol est sale, très sale… je continue ?
Là, j’en entends déjà certains : « Je ne pourrais pas ! ». Il n’y a pas si longtemps que ça, moi non plus, je n’aurais pas pu. Mais alors comment est-il possible que je profite de ce voyage avec tant de plaisir ? Comment est-il possible que ces quelques instants que je viens de décrire (qui sont quotidiens ici) ne créent pas le besoin immédiat de rentrer chez moi ?
Une pichenette sur l’oreille
Je crois que tout réside au plus profond de moi. Je n’aime pas l’idée de dire que c’est juste un choix. Ça serait trop facile. Lorsque les émotions nous dépassent, plus rien ne peut être maîtrisé.
Mais lorsque l’on a atteint un apaisement émotionnel qui permet de sentir l’émotion pointer le bout de son nez. Vous voyez, la petite colère qui tape sur l’oreille et qui dit : « Mais bordel j’en peux plus de vos Klaxons, de votre air dégueulasse et puis laissez moi tranquille j’en veux pas de vos babioles… ». Et bien, je crois que tout se passe au moment de cette petite tape sur l’oreille. Sentir cette petite pichenette, c’est l’occasion franche et unique de regarder la colère en face et de la repousser. Ça parait simple, écrit comme ça, je sais. Mais depuis que j’arrive à faire ça, ma vie a changée. Rassurez-vous je craque encore souvent (trop à mes yeux), mais beaucoup moins qu’avant.
Mais alors ? Et bien une fois la colère identifiée avant qu’elle n’explose, elle rentre chez elle et libère un espace de paix. Un espace dans lequel il est possible de regarder tout ça avec recul, dans lequel il est possible de constater que cet inconfort est relatif et passager, que ce voyage, ce pays, offre tant de belles choses qu’il faut juste les vivre.
Et même, si j’osais, et pour paraphraser Mathieu Ricard, ce moine Bouddhiste français que j’aime tant lire et écouter : « Il est possible de trouver du confort dans des moments d’inconfort ».
Ici et maintenant
Au milieu de cette rue, je suis vivant, je vis à 100%, je suis dans l’instant présent, totalement.
L’instant présent, c’est ça. Ne pas avoir le cerveau happé par un passé douloureux ou un futur incertain. Ce présent-là, difficile selon mes repères habituels, mais loin d’être insurmontable, comme le sont les territoires de guerres ou de non-droit, est un présent intense et coloré qui me remet sur les rails de l’instant présent et du bonheur qu’il porte sous le bras.
Je ne déteste pas l’Inde.
Je ne crois pas l’aimer comme j’ai aimé le Népal ou la Colombie.
En revanche, je la remercie car chaque instant ici m’aide à comprendre encore un peu mieux qui je suis…