On me reprochera peut-être de ne pas parler des mauvais aspects du foot. Je suis conscient qu’ils existent… mais je trouve qu’on oublie trop souvent de parler des bons. L’expérience vécue hier avec les supporters de l’Independiente Medellin me donne une belle occasion de le faire…
Septembre 1987, je suis au stade Georges Demeny de Douai. Je foule un terrain de football pour la première fois, sur ce schiste rouge qui nous râpe les genoux et détruit nos chaussures. Mes premières passes, mes premiers dribbles, mes premières frappes, je me souviens comme si c’était hier des exercices de Monsieur Christmann, mon premier entraîneur. Septembre 1987, j’ai 6 ans, je suis en train sans le savoir de marquer ma vie d’une empreinte qui ne disparaitra jamais.
J’ai déjà mis des mots sur la passion du football. Ses inexplicables joies, et ses terribles larmes. Mais si c’est surtout en tant que supporters de mon Racing que je les ai vécues, ces émotions, n’étant pas doué du talent, de la persévérance et de l’abnégation qui transforme un joueur moyen en un bon joueur, j’ai néanmoins tiré de mes années de football bien plus de choses que le seul plaisir du jeu.
Quand tu as 6 ans, 8 ans ou même 12 ans, on te prête un ballon, on t’apprend les rudiments. Tu joues pour une seule chose : le plaisir. Le plaisir de jouer avec le ballon, le plaisir de jouer avec ceux qui, très vite, sont tes nouveaux copains, le plaisir de faire une belle passe ou un beau dribble pour certains, le plaisir de défendre sa cage pour d’autres, le plaisir de partager ce ballon qui nous est cher, de l’échanger, le donner pour mieux le récupérer, le faire vivre et vivre avec lui.
Le samedi on te donne un maillot, certains négocient leur numéro préféré, d’autres, comme moi, le découvrent après quelques mois à le porter. J’étais droitier, pas trop lent et des passes plutôt précises, j’ai donc démarré ailier, côté droit. Dans les années 80, 90, l’ailier droit c’était le numéro 7, un numéro qui m’a longtemps suivi.
À côté de moi, sur le terrain, je vois des copains. Notre seul différence ? Notre numéro. Jérémy porte le numéro 3, Benoit le numéro 5, Mohamed le numéro 4 et Karim le 10.
Aujourd’hui, plus de trente ans après mes premiers pas sur un terrain, je me retourne sur toutes ces années et je me satisfais des choses essentielles que le football m’a apporté.
Au foot quand j’étais petit j’ai joué avec des fils d’ouvriers, et des fils de médecins. Plus tard j’ai joué avec des flics, des éboueurs, des profs, des chauffeurs de bus, des chefs d’entreprises, des avocats, des kiné, des comptables, des étudiants, des vendeurs de voitures, des militaires, des chefs de rayons, des noirs, des Français d’origine Algérienne, Portugaise, Tunisienne, Marocaine, Polonaise, Italienne et j’en oublie. De tout ça je n’ai tiré que de l’enrichissement personnel, des vrais amis, des moments de partage incroyables, sans qu’à aucun moment, la question de nos différences ne se soient posée à moi, ou à mes coéquipiers. Nous étions unis par l’amour du ballon, unis par un même maillot, et, pour certains, nous le sommes aujourd’hui encore.
29 février 2020, je suis au stade Anastasio Girardot de Medellin en Colombie, dans la tribune des supporters de l’Independiente. Le derby vient de rendre son verdict : un partout contre l’Athletico Nacional. Les deux heures qui viennent de s’achever ont été intenses. J’ai vibré pour cette équipe et ce club dont j’ai l’impression de faire partie. J’ai vibré auprès de ces supporters incroyables, hallucinants, dont l’énergie positive a transpercé chaque partie de mon corps. Dans cette tribune des femmes, des hommes, des enfants, des Colombiens, beaucoup, et puis moi. Je sais que je suis différent, et tout le monde autour de moi le sait aussi. Notre équipe marque on saute, on crie, on se tape dans la main, on se prend dans les bras. Aujourd’hui j’ai ce maillot sur le dos et ça suffit.
29 février 2020, j’ai 38 ans, et j’ai simplement envie de dire merci Medellin, merci l’Independiente, merci le foot ❤